mardi 26 août 2014

L'Islande à pied - Récit et Photos (3)

6 au 22 août 2014 : Trek Islandais du nord au centre

Le récit et les images - page 3

16 août — 10
Une bonne tempête s’est levée cette nuit, accompagnée de pluie. Le vent, dont j’estime la vitesse à 60 à 80 km/h, a de plus changé de direction. Il frappe à présent à ma porte ou plutôt il l’écrase depuis l’ouest. Ce matin je décide de rester à l’abri, je suis dans les délais prévus. A peine si je sors, pour me mouiller le moins possible. Je vérifie la tenue des sardines. Grâce aux pierres qui les maintiennent tout va bien. Je remarque que le réseau des mobiles est disponible, c’est un petit détail qui me rassure. Seule proposition pour cette matinée : ingurgiter une bonne dose de crème céréales avec des fruits secs, et écouter le vent chanter. Aux percussions : madame la pluie. A la guimbarde : moi-même. C’est un bœuf extra que j’organise, qui se métamorphose en générique du film intérieur habituel : d’où viens-je, qui suis-je, où vais-je, le film de ma vie dont le scénario banal tourne autour de quelques sentiments tels que les regrets et les remords. C’est en terrain conquis d’avance que la gamberge s’installe.
Remontant des profondeurs éthérées de la pensée et pour revenir aux obsessions de la surface de mon errance, je déplie la carte pour évaluer la distance à parcourir vers les prochains refuges. Pourtant, si je ne les utilise pas, ils constituent un repère pratique et sécurisant, d’autant plus qu’en général ils se situent à environ un jour de marche l’un de l’autre. Gaesavötn n’est pas très loin, approximativement une journée de marche, mais Kistuffell est plus proche encore. De quoi accomplir une petite étape dans l’après-midi. Si le temps s’arrange.
14h30. Le vent et la pluie calment leurs fureurs et me laissent plier la tente. Je suis enchanté de repartir après ces heures d’inaction, qui font pourtant partie des aléas possibles sur l’Ile-de-glace.
Je continue sur du plat, encore. Quelques cours d’eau de fonte étant à sec, je traverse seulement deux gués pour me rendre au glacier le plus volumineux d’Europe, puisque j’ai décidé de faire un léger détour pour le toucher et le photographier. Couvert de moraines, de terre et de sable gris, la lisière du Vatnajökull à cet endroit ne répond pas à l’image qu’on peut se faire de l’immense calotte glaciaire que je touche à présent. L’émotion est néanmoins présente. Difficile de réaliser que la superficie de cette masse glacée est celle du département du Var plus la moitié de celle des Alpes maritimes. J’en photographie un simple éclat détaché de cette mer solide, discernant mon reflet à la surface de ses multiples facettes.
Mon parcours me fait ensuite monter une chaîne de montagnes basses : le Hurðarhals. La température descend et en fin d’après midi la neige commence à tomber. Le paysage change, c’est joli mais ça mouille encore. Et pourtant, étonnamment, j’ai soif et l’eau manque sur ces terrains inféconds. Il me reste ¾ de litre d’eau. C’est peu jusqu’à demain. Je n’hésite pas à boire dans le creux d’un rocher de cette eau cristalline et froide qui est tombée depuis hier — Tant pis pour le risque de maux de ventre. La chute de neige s’intensifie au fur et à mesure que j’avance vers le refuge, un ciel de plomb me recouvre et obstrue la vision des paysages alentour. « Et si ce refuge là est fermé ? » me dis-je pour ajouter à l’angoisse. Car je suis très isolé et il va sûrement faire très froid la nuit prochaine.
J’atteins le refuge de Kistufell et démonte les planches qui protègent la porte et les fenêtres. Il est ouvert. Merci donc à l’ICE-SAR, organisme des sauveteurs Islandais qui gère cet abri, qui est en fait un abri d’urgence théoriquement interdit à un séjour d’agrément. C’est affiché : je suis dans un Emergency Shelter. J’allume le poêle à gaz et la température qui était de 3°C à mon arrivée dans le dortoir remonte assez rapidement à 14°C, ce que je considère comme une température de confort tellement je suis content d’être là. Je prends soin d’entrouvrir un vasistas pour ne pas mourir ici. Un bel idéal de randonneur, mais j’ai décidé que mon heure n’était pas venue. Il y a une radio de secours que je ne saurais pas faire fonctionner, pas de réseau GSM. Aucune boisson en réserve ici, je ressors donc pour gratter la couche de neige qui couvre à présent la table et les bancs fixés sur la terrasse à l’arrière de la bâtisse, et qui permettent de manger dehors en été. Mais c’est quand l’été ?
Revenu à l’intérieur, je me change, vide mon sac à dos, accroche et pends tout ce qui doit sécher au dessus et autour du poêle, y compris la popote emplie de neige à fondre (je dois faire trois ou quatre voyages, car un centimètre de neige poudreuse équivaut à un millimètre d’eau, chacun sait cela, voyons). Je repartirai demain sec des chaussettes à la cagoule. Ca fait plaisir. J’ouvre enfin le livre d’or du refuge pour le parcourir, ce qui me fait un loisir après tout. La majorité des témoignages sont en anglais, j’en comprends de ce fait une bonne partie. Les passages consacrés à une source proche et l’indication par certains marcheurs de sa position GPS attirent particulièrement mon attention. D’autres ont dessiné le moyen de s’y rendre, avec la forme des rochers à contourner. C’est comme un jeu de rôle pour une chasse à ce précieux trésor qu’est l’eau. Il est trop tard pour partir à sa recherche. Ce sera demain. En outre, la neige m’a permis de regagner un point de vie.
La nuit me ballotte deux fois par le biais de secousses sismiques. J’ai maintenant l’expérience de ce phénomène dans le sud des Alpes, aussi je ne m’inquiète pas des frissons de Gaïa, que j’estime à une magnitude de 4 environ



17 août — 11
Je sors du refuge pour découvrir une immensité immaculée, le soleil fait resplendir le manteau neigeux sur la plaine jusqu’à l’horizon et sur les hauteurs. Le plafond céleste est revêtu de nuages opalins qui laissent entrevoir par endroit un joli ciel bleu. Le vent est faible. Le moral est au beau fixe quand je reprends ma route, tout sec, sur ce tapis de cinq centimètres de neige.
Je parviens à trouver la source cachée indiquée sur le livre d’or du refuge par mes prédécesseurs en pérégrination, en m'aidant de sa position GPS :
N64° 48.830' W17° 14.490' . J’emplis ma Platyplus après avoir bu tout mon soûl, car ce froid sec me donne soif.
Je suis attiré par le bord du glacier, manifestement, car négligeant de faire un point GPS/carte, je marche vers le sud au lieu de partir vers l’est. Cette erreur d’orientation sans gravité me permet simplement d’admirer quelques beaux paysages de plus et de les photographier.
Après ce crochet glaciaire, je file bon train en direction du refuge de Gaesavötn, marchant à vue pour rejoindre la piste. Comme souvent lorsqu’un virage forme une grande boucle, je coupe le tracé de cette voie aménagée pour les véhicules tout-terrain. Gaesavötn est effectivement une belle bâtisse récente et peinte d’un joli vert Lichen. Par les carreaux des fenêtres, je constate que le mobilier est du plus grand confort et la bibliothèque bien garnie. Mais c’est un gîte privé et solidement clos ! C’est étrange, nous sommes dimanche et je ne vois personne ici, ni aux alentours. Je marche en fait seul depuis plus de deux jours.
A partir de là, le paysage change de plus en plus. C’est toujours autant infertile mais plus varié en couleurs et relief. De nombreux bras de rivières traversent cette région de montagnes basses que je vais traverser, entre le Vatnajökull et un autre grand glacier : le Tungnafellsjökull. Les sur-bottes en Sylnylon sortent plusieurs fois mais leur efficacité n’est pas au top. Le fond qui les constitue, je l’ai découpé dans un tapis de sol d’une vieille tente, et ce tissu n’est pas étanche. La couche de Silnet que j’avais étalé à sa surface, côté intérieur, s’est désagrégée, l’eau rentre donc. En petite quantité, mais elle rentre. La hauteur des sur-bottes n’est pas satisfaisante non plus. Elles m’arrivent sous les genoux et sont emportées quand les courants sont violents, ce qui les fait descendre sur la jambe. Je pense que pour une bonne tenue, les sur-bottes devraient arriver en haut des cuisses, et être serrées par une cordelette ou une sangle au dessus des genoux.
La dernière des quatre larges rivières que je dois traverser à gué est plus profonde et le courant assez fort. J’hésite longtemps sur l’endroit où traverser et sur la méthode. Les sur-bottes risquent de me gêner plus qu’autre chose, mes chaussures et chaussettes sont déjà mouillées par les gués précédents alors Vai ! Je me décide et me lance dans la solution « en chaussettes-sans pantalon-sans chaussures ».
Le passage du gué se déroule bien et après avoir réenfilé mes chaussures et mes chaussettes sèches et marché quelques pas, je me rends compte de mon erreur. Les chaussures étaient mouillées, elles sont donc en train d’imbiber ma deuxième paire de chaussettes. L’archiduc n’a plus de chaussettes sèches. Shit !
Je trouve un bel endroit pour bivouaquer au bord du cours d’eau. La nuit est humide et froide, je dors pour une fois pieds nus car le sac de couchage doit impérativement rester sec.














18 août — 12
Au matin la paire de chaussettes que j’enfile est humide mais la laine de Merinos possède la qualité de conserver une certaine chaleur, même mouillée.
Les cieux sont illuminés de soleil mais le vent toujours aussi froid. Je vais porter gants et cagoule toute la journée. Dans cet espèce de chenal terrestre coincé entre les deux grands massifs glaciaires, je traverse un environnement très sauvage C’est au bord des rivières que la nature réussit à se dévoiler le mieux, le sol et la végétation très basse dévoile quelques teintes nuancées, jaunes, ocres et vertes. Je me suis facilement familiarisé à ces lieux désertiques, ils s’imprègnent en moi comme je m’incorpore en eux. Je me sens simplement de passage, ne prétendant rien posséder de cette immensité et ne laissant qu’une trace dérisoire derrière moi. La vraie trace, elle s’inscrit dans les circonvolutions de ma mémoire, pour un temps qui me paraîtra long, mais ne sera qu’éphémère à l’échelle du monde.
Aujourd’hui encore, aucune rencontre, pas d’être humain à l’horizon, pas de réseau de téléphonie mobile, pas l’ombre d’un réseau social. Loin d’en être inquiet, au contraire grisé par cette sensation, je laisse jouer mon esprit avec cette solitude en m’imaginant l’un des derniers humains sur terre. Rien de narcissique, seulement l’incarnation d’un personnage classique de la science-fiction post-apocalyptique. C’est une des possibilités d’une île qui s’appelle l’Islande.
Après être descendu d’un petit col où la piste se termine sur un emplacement de parking, je quitte un circuit balisé par de petits poteaux en bois et bifurque vers le nord pour remonter la rivière Rauða, dont la traduction du nom témoigne que la couleur rouge va dominer. Sur la carte de la région, dont j’ai une copie sur moi, des circuits pédestres sont tracés en rouge. Sur le terrain, pas de balise, pas de sentiers, l’aspect sauvage de ces terres est donc conservé.
La pente monte rapidement, le paysage devient de plus en plus varié. Etant donné que le vent souffle fort et m’incite à éviter la crête, j’avance sur le flanc gauche de la vallée. Le sillon de la Rauða offre des paysages plus variés que ce que j’ai connu les jours précédents, les couleurs vont du rouge du sol volcanique au vert vif des endroits les plus humides, du blanc des névés au bleu d’un ciel devenant de plus en plus dégagé. Je m’approche du glacier Tungnafellsjökull, mais mon parcours en est séparé par la vallée. Ce glacier de 48 km², qui paraît minuscule sur les cartes, comparé avec son immense frère et voisin, dégouline du plateau qu’il chapeaute, tel une couche de crème Chantilly posée trop généreusement sur un gâteau géant.
Au bout de l’arc de cercle formé par la vallée de la Rauða, et comme je l’avais envisagé, je bifurque vers le sud entre les monts Laugakùla et Eggja. Dans le col, je trouve assez facilement, bien qu’à l’écart des circuits connus, une zone de sources chaudes et fumantes. Le sol est glaiseux, glissant. Dans certaines petites fosses une boue grise bouillonne, forme de grosses bulles qui éclatent en cercles concentriques. Le bain de boue est hélas proscrit ; c’est trop chaud. Des fumées sous haute pression sifflent en se dégageant d’autres cavités.
Descendant du col je rejoins une source non pas d’eau chaude, mais d’eau brûlante se déversant dans un bassin d’environ 6 mètres de diamètre. Une fois encore, le bain n’est pas conseillé à cause de la température élevée du liquide, et je vais sans doute finir la randonnée sans avoir pu utiliser mon maillot de bain. La source chaude est proche d’un torrent d’eau vive et fraîche. Me plaçant en contrebas j’ai l’impression d’être un lilliputien devant deux robinets dispensant à gauche l’eau chaude, à droite l’eau froide. Il manque juste un robinet mélangeur.
Quittant ce lieu magique à regret, je continue ma marche vers le sud pour traverser la vallée de Snapadalur et contourner le mont Deilir et le lac à son pied, tout ce secteur de Vonarskarð que j’apercevais parfaitement depuis le col, comme si je lisais une carte géante.
La tente est posée près de la rivière, au plat du lit de sable noir. Le son du cours d’eau, chantant au firmament, est un de mes plaisirs favoris et va encore me bercer.
De l’autre côté de la vallée, le Skrauti, surnommé la montagne jaune, expose ses belles nuances ocres et jaunes qui contrastent avec les sombres pentes du Kolufell qui lui fait face. La lumière du couchant met la montagne en valeur en faisant flamboyer ses teintes claires.
Ce soir bombance puisque j’ai de l’avance sur le stock de repas lyophilisés. De quoi rattraper une partie du déficit calorique, que je commence à ressentir. Hop ! Je fais marcher un poulet Tandoori et une fondue quatre fromages.



























19 août — 13
Ce matin je grimpe le long d’un torrent dévalant entre les monts Skrauti et Kolufell jusqu’à un col qui permet de parvenir au lac Kviarvatn. J’ai choisi cet itinéraire car entre le lac et ma dernière étape (refuge de Nýidalur), je traverse un paysage sans sentier, chemin ou indication cartographique. Je tiens à cette dernière sensation d’aventure et d’improvisation, puisque je vais marcher à vue pour trouver les meilleurs passages. Je veux retrouver l’essence même de la marche en pleine nature, car en général les chemins balisés nous enlèvent le plaisir de devoir nous orienter par nous-mêmes, avec comme contentement suprême l’acte de retrouver la bonne direction après s’être perdus. La vraie découverte passe aussi par là.
Arrivée au refuge-camping de Nýidalur. Il est 15h30. Je tourne en rond quelques minutes pour explorer les lieux et prolonger ma randonnée de quelques dérisoires pas. L’accueil est fermé, je prends le temps de laver mon maillot qui va sécher au vent, accroché aux bâtons de randonnée que j’ai piqués au sol.
Dans la cuisine ouverte à tout visiteur, je me sers très largement du café qui attend, comme un peu partout dans le pays, dans sa grande bouteille Thermos, et je m’assois pour le siroter, après avoir accroché mes chaussettes humides à un fil d’acier tendu au dessus du poêle.
J’attends ainsi le garde en méditant en méditant sur l’affiche accrochée à l’extérieur et que je viens de lire. Une grande zone du centre de l’Islande est interdite à la circulation à cause du réveil d’un volcan : le Barðabunga, enfoui sous les blancheurs du glacier Vatnajökull. C’est pour cette raison que la piste F910 est donc fermée. Heureux de l’apprendre ! Les secousses nocturnes au refuge de Nýidalur n’étaient donc pas si banales que ça.
Revenu dehors parce que j’ai du mal à rester immobile trop longtemps, je vois un groupe de jeunes en train de s’installer après être descendu de son autocar. En échangeant quelques mots avec un homme qui semble être leur accompagnateur, j’apprends que ce sont des étudiants californiens en géophysique dans leur voyage d’étude. Leur professeur, avec qui je discute justement, et qui parle parfaitement français, est déçu de devoir bloquer sa classe ici à cause de l’éruption.
Le garde arrive. Il est du genre féminin blond, je le classe rapidement parmi les merveilles de l’Islande et de l’espèce humaine. La dame en uniforme me prend le règlement du café, du jeton de douche et de l’emplacement de camping, mais surtout elle m’apprend qu’on me cherchait dans les vastes étendues, après qu’on ait appris mon départ à pied de Dreki il y a cinq jours. J’explique qu’on ne m’y avait pas donné d’information précise et qu’on m’avait laissé partir sans problème. Elle me demande mon nom pour le noter dans son cahier et appelle je ne sais qui pour prévenir de mon arrivée. Je ne regrette rien et suis même ravi que ce volcan ait pu contribuer à construire mon aventure personnelle. Je reprends un café.
J’installe ma tente non loin, sous le vent frais des hauts plateaux, et m’assois à l’intérieur. La vue des montagnes dans l’encadrement triangulaire de l’entrée, le fond de ciel d’un bleu soutenu, mes chaussures séchant sur le sol, mes pieds posés sur ce sol aimé, la prise de conscience que ma marche s’arrête à cet instant ; je me mets soudain à sangloter. Lâchage émotionnel de la fin d’une histoire intense, une vague venant du fond de l’âme retenue jusque là par l’action et qui surgit pour faire céder cette faible digue qu’on nomme contrôle. Ne pas s’y tromper, ce saisissement participe assurément du plaisir d’être vivant. Ma trace a épousé les formes de la terre. Je peux dès lors parler de mariage avec cette nature. Quitter celle-ci ne me conduit pas à devenir à jamais malheureux puisque je dois continuer mon cheminement par d’autres façons. Pourtant le moment de défaire ce couple merveilleux n’est pas vraiment réjouissant.
Je ne vais pas passer toute la fin de journée sous la tente, aussi je reviens m’asseoir dans la cuisine. Je reprends un café. J’échange quelques mots, toujours en anglais, avec deux Luxembourgeois, dont l’un est photographe, venu pour collecter quelques belles images de la terre de glace, et l’autre son pilote d’hélicoptère. Tous deux sont bloqués ici par les consignes de prudence générale de cette période éruptive et attendent une autorisation pour décoller.

















Parcours des deux derniers jours


Epilogue à Reykjavík
Dernier voyage en autocar jusqu’à la capitale qui m’accueille sous un beau soleil d’été. Je vais m’installer au camping, théâtre d’un joyeux brouhaha, et où j’ai l’impression de retrouver la foule des gens. Quelques dizaines de personnes en fait, en transit comme moi, prêtes à bondir vers les terres sauvages ou prêtes à reprendre l’avion pour retrouver leur pays d’origine. Le fond sonore d’une foule beuglant des airs crétins m’indique à coup sûr que nous sommes proches d’un stade et que ce soir il y a match. Bingo ! Bonne occasion pour me replonger dans la jouissive décadence de notre civilisation. Je me rapproche donc des grilles du stade, pas assez important pour n’être entouré que de gradins, une canette de bière à la main, pour déambuler et apprécier les crocs-en-jambes d’un Stjarnan - Inter de Milan comptant pour la coupe de l’UEFA. Cette coïncidence de calendrier m’eut réjouit en tant qu’amateur de Football, elle me fait juste sourire. Bien entendu, le jeu de l’équipe Islandaise paraît bien aimable face à celui des italiens et l’Inter gagne 3 à 0.
Mon Appareil photo numérique n’a, encore une fois, plus de batterie. Etrangement je ne désire plus recharger celle-ci malgré le beau temps et la promesse de beaux moments. Je vais promener librement mon regard à présent. Une habitude de voyage, je prends la température du pays en m’introduisant dans ses musées et en visitant les expositions d’art contemporain. Au musée de la photographie, le ljósmyndasafn reykjavíkur, je découvre l’exposition touchante des images de Ragnar Axelsson faites en Islande et au Groenland. Peu de supports artistiques font passer autant d’émotion et apportent autant de précision sur l’état du vivant ou le visage des humains que la photographie Noir et Blanc.
Au Kjarvalsstaðir, une section du Listasafn Reykjavíkur, le musée d’art, les œuvres de Jóhannes Kjarval me parlent aussi de l’Islande dans un langage que je reconnais, par de grandes peintures dont le style est en grande partie issu de l’impressionnisme, mettant en valeur la richesse des tons de tout ce qui constitue le paysage. Kjarval aimait s’isoler longtemps dans la nature pour s’imprégner de la beauté de l’environnement islandais et quand il s’est agi de représenter ce qu’il avait vu, il n’a pu le faire qu’en utilisant de toiles immenses.
Je visite la section d’art moderne au Hafnarhús à toute vitesse, tout en tâchant d’apprécier l’énergie créatrice Islandaise actuelle dans ces installations vidéos tournant en boucle, art postmoderne qui donne comme souvent l’impression d’un déjà-vu chez moi et ailleurs. Fatigué, il est un autre musée que je ne visite pas. Il est pourtant unique au monde : Íslenzka Reðasafn, le Musée National des Phallus, ouvert tous les jours à partir de 11 heures (symbolique oblige ?). Je manque de curiosité.
Dans la capitale hyperboréale il fait bon flâner. Dans les rues piétonnes du centre l’ambiance est ensoleillée, il fait un bon 14°C sans vent, autant dire que c’est un bel été. Un air de liberté et de détente souffle dans les rues, entre les petites maisons dont la plupart sont du 19ème et 20ème siècle, dont les murs et les toits de tôle ondulée, les uns et les autres colorés, doivent égayer les jours de grisaille. Je remarque quelques jolis duos dont les sexes ne sont pas si opposés. Effectivement un programme m’apprend que j’arrive quelques jours après la traditionnelle et célèbre Reykjavík Pride. L’atmosphère est calme et douillette, presque cosy. Les cafés rivalisent d’imagination dans leur décoration pour nous inciter à entrer dans leur univers. Voici que je retrouve des sensations que j’avais connues beaucoup plus jeune dans les rues de Londres ou d’Amsterdam. Bouger les pieds pour changer le regard. Je m’autorise enfin à jouer le touriste. Les enseignes de souvenirs sont nombreuses, je vais rapporter quelques petits souvenirs absolument typiques et pas tous fabriqués en Chine.
Sur le port s’élève un bâtiment neuf et que je trouve magnifique, tout de verre et de métal : Harpa. Ce théâtre et centre de congrès me rappelle fortement, par son architecture et sa situation au bord de la mer, le Mucem de Marseille — en plus géométrique.
De retour au camping, je termine les vivres qui me restent et après le dernier repas dépose la bouteille de gaz presque vide dans une grande caisse ou elle rejoint ses sœurs plus ou moins épuisées. Démarche utile car ceux qui débutent leur séjour ici peuvent se servir dans cette réserve.
Je quitte l’Islande à regret, me promettant évidemment d’y revenir, comme tous ceux qui y vont, et chargé de son énergie tellurique pour des dizaines d’années.

lundi 25 août 2014

L'Islande à pied - Récit et Photos (2)

6 au 22 août 2014 : Trek Islandais du nord au centre

Le récit et les images - page 2

12 août – 6
Pas de pluie, mais les nuages rasent la terre et font traîner quelques rideaux de bruine légère. L’humidité est donc interminablement là. Je connaitrai un semblant d’éclaircie dans l’après-midi.
Après quelques kilomètres de piste en terre, je pique vers le sud-ouest à travers un large désert dont la structure est variée. C’est du sable noir formant parfois des dunes où pousse l’oyat, donnant au paysage un aspect de bord de mer. La lave, c’est le magma terrestre à portée de la main, donnant comme une sensation d’être à l’aube du monde, d’être témoin d’une étape de la formation de ma petite planète. Souvent le sol est un immense tapis de cailloux ronds, formant une surface plane et agréable à fouler. J’ai seulement le remords de voir mes pas marquer le terrain, et je me mets à espérer que l’érosion lui rendra l’intégrité d’avant mon passage. Ces vastes plaines sombres ont été créées par les éruptions volcaniques. Elles semblent stériles, mais avec le temps, car la nature est l’alliée du temps contrairement a nous qui le perdons et le recherchons sans fin, se reconstitue la vie ; de l’eau, du soleil, des oiseaux de passage, les éléments primordiaux, et la vie repart. J’en distingue les signes sous la forme de petits groupes de fleur : Arméries et Silènes, ou de modestes Saules Rampants.
Je dois être le seul humain à 25 kilomètres à la ronde et l’idée me plaît. Je croise seulement quelques oiseaux, et je pense que mon destin, pendant ces quelques jours, ressemble au leur (on peut rêver). Une vision enchanteresse m’apparaît dans l’après-midi : une grande silhouette blanche et flottante se déplace au dessus des rochers et se pose. L’oiseau fantomatique est loin, trop loin pour être photographié mais je le distingue assez pour reconnaître un Harfang des neiges. Il est superbe.
Avec ce ciel changeant, je découvre plusieurs fois en me retournant (puisque le soleil est devant moi) des arcs-en-ciel de toutes tailles, provoqués conjointement par les passages de ces nappes de bruine chatouillant la terre et par les apparitions fugaces de l’astre solaire. Pendant un moment, j’aurais presque pu toucher le pied de l’un d’entre eux, à quelques mètres de moi. Cette féérie aux sept couleurs enlumine mon expédition. Les Islandais s’en font d’ailleurs une fierté. Quand un fâcheux tourne en dérision le climat de leur pays, ils rétorquent qu’ils ont chez eux les plus nombreux et les plus beaux arcs-en-ciel du monde.
Ma solitude est rompue par la rencontre de deux allemands au refuge de Botni, où j’arrive en fin de journée. J’échange quelques mots avec eux et réfléchis sur la façon dont je vais passer la nuit. Ici en introduisant 2300 KR (environ 30 euros) dans la tirelire métallique fixée au mur, ou un peu plus loin sous la tente ? Le temps est médiocre. La température au thermomètre du refuge m’a indiqué 8°C à l’abri du montant d’une fenêtre, côté extérieur. Dans le vent je ressens plutôt 5 ou 6°C. Pourtant je choisis l’option tente, en partie pour économiser 30 euros car mon budget est très serré d’ici à Reykjavík. Et pas question de profiter des refuges sans déposer mon obole. Bien sûr, on peut aussi se promettre d’envoyer un don sur le site Internet de Ferðafélag Akureyrar, l’association Islandaise qui gère la hutte, mais bon. J’ai pris ma décision, ne serait que pour ne pas me complaire dans le confort (sic). Je plante ma Big Agnes contre une haute coulée de lave, qui m’abrite du vent du nord, après avoir aplani le sable et écarté le maximum de cailloux.
Dans la rivière toute proche, je réussis à surmonter la fraîcheur de l’air pour faire une toilette complète. Comme nous le ressentons tous à chaque fois que nous nous lavons à l’eau froide, une sensation de chaleur envahit mon épiderme, me procurant des sensations de bien-être. Le top du top, je le connaîtrai tout à l’heure en entrant dans mon cher duvet.
Mon seul loisir ce soir va être de choisir un repas parmi tous les paquets de Lyophilisé, que j’ai prévus variés. Je me suis bien fait à ce régime, mais en l’agrémentant d’un potage, d’un petit morceau de bœuf séché, un petit morceau de fromage, une tranche de pain tant qu’il en reste. En plus d’éprouver la satisfaction de manger à ma faim, je crois que le fait de préparer, en bivouac, ce qui ressemble à un vrai repas est excellent pour le moral, principalement par temps froid. Ainsi, l’esprit a la possibilité d’accéder à plus de liberté, permettant au son fin de la bruine qui se répand encore sur la toile de l’abri de se changer en musique, au sol caillouteux de se muer en terre magique.








13 août – 7
J’ai passé une bonne nuit et je reprends la piste, non sans encore me féliciter chaudement pour le choix de l’emplacement du bivouac (quand c’est bien, il ne faut pas hésiter).
C’est encore une piste de terre volcanique assez banale que j’emprunte mais la beauté est dans les détails, la diversité des formes rocheuses, les bouquets roses et verts des Arméries se détachant sur le sable noir, et encore et surtout mes amis arcs-en-ciel.
Après une petite journée de marche sur, j’atteins le refuge de Dyngjufell vers 16h30. Quelques minutes de réflexion et je décide m’installer dans le refuge car je n’aime pas l’aspect du ciel, que le coin est hostile, sans herbe, rocailleux, et que marcher à peine plus loin ne servira à rien d’autre qu’à gravir la chaîne montagneuse qui mène à Öskjuvatn (lac d’Askja). Il fait frais : 6 à 8°C à l’extérieur de la fenêtre, et 11°C au thermomètre placé à l’intérieur de la cabane. La température va monter royalement à 13°C à la faveur de ma présence.
Dehors le ciel s’éclaircit et le vent tombe. Ce serait de bon augure pour le lendemain pour celui qui ne saurait pas que le temps islandais change vite.
Le refuge est construit sur un rocher contourné par une petite rivière, dans laquelle j’ai puisé de l’eau en arrivant. Détail important, puisqu’en ressortant dans la soirée je m’aperçois que la rivière a cessé de couler. Le lit est quasiment à sec, hormis quelques flaques qui me permettent de faire ma toilette. Quelqu’un aurait-il fermé une vanne ? Mais il semble qu’il n’y ait aucune installation humaine à de nombreux kilomètres à la ronde, n’y aucune raison pour que ce cours d’eau soit commandé ainsi. Comme un randonneur l’a écrit dans le Guest Book : c’est le mystère de la rivière qui s’éteint.
Dans le livre d’or, j’écris un message signé de mon pseudonyme Jjondalar. Et dodo. Mais avant de dormir, je médite pour la première fois de cette randonnée sur ma solitude, sans doute parce que je suis dans un refuge, lieu emblématique de convivialité, et qu’une conversation avec un pote m’eut bien comblé, ce soir.







14 août — 8
24 kilomètres de montagne à parcourir aujourd’hui, puisque Askja est situé au milieu d’un massif circulaire et escarpé. La fameuse rivière a coulé au moins une fois cette nuit. Je ne comprends décidemment rien à ce phénomène. Bonne nouvelle : le soleil m’accompagne, les conditions sont très bonnes malgré de larges névés et un vent de plus en plus en froid — il est assez faible mais m’a obligé tout de même à enfiler la cagoule. Je me retourne régulièrement pour admirer l’immensité du paysage que j’ai traversé.
Le col de Jónsskarð culmine à 1300 mètres et permet la bascule entre le nord et la gigantesque caldeira d’Askja. Après une longue marche dans les champs de neige posés au pied de la chaîne qui entoure le cratère, je décide d’arrêter de contourner les champs de lave pour les traverser en ligne droite pour rejoindre le Stora Viti, le petit lac. Et comme le plus court chemin n’est pas forcément le plus rapide dans un tel chaos “magmatiforme“, je bifurque un peu vers l’est pour rejoindre, quelques kilomètres de lave plus loin, le chemin et un petit flot de touristes venus du parking proche.
Le Stora Viti se trouve dans une cuvette très profonde, les pentes sont raides. Je ne vois comment certains marcheurs ont pu descendre pour aller s’y baigner. Pas grave, j’admire le paysage et continue ma route vers l’est. Un petit panneau m’apprend que les promeneurs doivent rester prudents autour de rives du lac car un séisme a eu lieu le 21 juillet, et a provoqué des glissements de terrain. Je ne suis pas là pour me promener et nous ne sommes plus le 21 juillet. Je ne risque donc rien. Hop c’est parti pour un nouveau col qui va me permettre de rejoindre le camping de Dreki. La montée se fait en suivant des traces sur un névé à flanc de montagne, m’aidant de mes bâtons en mode dahu. En haut je me retourne pour admirer une dernière fois le site d’Askja. C’est drôle, je n’y ai fait qu’un bref passage sans m’être laissé impressionner par ce lieu mythique chez beaucoup de randonneurs. La faute à la longueur de l’étape, à l’hélicoptère qui vrombissait sans arrêt, aux touristes, ou simplement parce que le lieu était trop attendu, trop prévu ? Passe un vent fort et glacé qui m’oblige à enfiler à nouveau cagoule et gants pour la descente.
Mon genou fragile, le gauche, faiblit nettement dans la pente descendante mais tient le choc. Tout en bas, le camping de Dreki est soumis lui aussi au vent que j’ai subi auparavant et j’installe la tente au centre d’un petit espace entouré d’un muret dressé par des locataires précédents, faisant ressembler mon campement à un mini camp néolithique. En m’aidant de nombreuses pierres, j’arrive à maintenir la feuille de Polycree, qui doit servir de protection sous le tapis de sol de la tente et la toile de celle-ci. Cela n’empêche pas le Polycree de se déchirer. J’en perds un petit morceau, rien de très grave. Plus embêtant, le fond du tapis de sol de la tente se déchire autour du renfort d’attache, non par l’effet du vent mais à cause de tensions contradictoires et surtout trop fortes. Le ruban adhésif que j’ai emporté ne sert à rien, il ne tient pas sur le nylon enduit de la toile. Du fil et une aiguille eurent été plus efficace.
Dans ma petite maison de toile, je fais l’inventaire des vivres et des jours de marche passés et à venir. Pour un besoin d’autonomie totale et si je marche tous les jours restant, ce sera un peu juste mais jouable. La bouteille de gaz de 500 ml est maintenant fortement allégée mais la quantité de combustible restante me laisse une marge confortable.
A Dreki, rien à acheter au bureau d’information. Même pas un café. La nuitée coûte 1200 KR, qui incluent les 500 KR d’une douche chaude limitée à 5 minutes, ce qui suffit pour un lavage complet et permet d’ailleurs, en faisant vite, de laver du linge pendant la douche.
L’endroit est au bord d’une rivière qui fournit l’eau, d’un côté protégé par la chaîne de montagne entourant l’Askja, de l’autre côté ouvert aux vents surgissant d’une immense plaine traversée par une piste menant à l’Herðubreið, cette montagne mythique emplissant une partie de l’horizon à l’est. Au dessus de moi, des falaises et des blocs volcaniques aux teintes variées allant du rouge au brun me rappellent le pays, si je puis dire, car elles ressemblent assez bien à ce que je rencontre habituellement dans le massif de l’Estérel, également constitué de Rhyolites.











15 août – 9
J’ai eu beau dégager le sol du plus grand nombre de cailloux possible, hier en m’installant, une petite caillasse saillante et rugueuse a percé mon matelas gonflable pendant la nuit. Je répare avec les patches Thermarest que j’ai emporté.
Cette longue étape se fait sur un terrain absolument plat, d’abord en contournant le lac de Dyngjuvatn, puis en longeant la piste tracée dans le désert de sable d’un gris profond— le ciel est d’une teinte presque semblable, et enfin à travers les méandres de Flaeður, ensemble de rivières provenant de la fonte du glacier de Dyngjujökull. L’eau s’étend sur des centaines de mètres de large, se divisant en nombreux bras plus ou moins profonds, qu’il est facile de franchir. Je dois pourtant enfiler les guêtres trois ou quatre fois. A moins de posséder un bon filtre, tout ce liquide n’est pas bon à boire. Il est trop boueux. Celui qui a besoin d’eau dans cette région peut toujours faire un détour vers le sud et gratter la neige du glacier. De loin en loin, des bornes en plastique jaune forment des repères difficilement repérables dans ce paysage. Elles sont surtout destinées aux pilotes des divers véhicules à moteur passant par là, afin de leur permettre, tant bien que mal, de ne pas quitter la piste et traverser aux endroits où l’eau est moins profonde.
Au départ, je projetais de bifurquer vers le nord-ouest et la montagne de Trölladyngja, comme me l’avait suggéré David, alias Bigfoot sur Internet. J’annule ce projet car le ciel est menaçant et très bas, je n’aperçois rien de ce sommet.
L’averse ne cesse de tomber depuis le début de l’après-midi. Après ces monotones mais insolites trente kilomètres de marche, je décide de m’arrêter à l’abri d’un relief de roches de lave, en utilisant les indispensables pierres pour consolider les sardines plantées dans le sol meuble.
J’écris ces lignes vers 20 heures (22 heures en France), assis sur un lit de sable noir tout en constatant une accalmie climatique qui sera de courte durée. Je ne me suis pas attardé à la toilette, bien que je ne manque pas d’eau. Ce temps a l’avantage de me faire économiser de l’eau, car je transpire peu et bois donc peu. Un litre aujourd’hui, et autant pour la cuisine et le reste.