Frédéric GROS, Flammarion 2011
Professeur de philosophie et marcheur, Frédéric Gros nous emmène sur les sentiers aux courbes souvent tourmentés d'auteurs aussi divers que Nietzsche, Rimbaud, Rousseau, Thoreau, Kant ou lui-même. A cette liste s'ajoute Gandhi et le rôle politique qu'a joué la marche dans son action.
Déambulation, flânerie, épreuve de réalité, souffrance, la marche était pour ces penseurs rarement un but, parfois un plaisir, la plupart du temps un moyen de catalyser ou de dompter leurs pensées.
Le fait est qu'ils pratiquaient cet exercice souvent seuls. Comme le dit Thoreau :
"L'homme que je rencontre m'apprend souvent moins que le silence qu'il brise."
C'est donc une suite de cours de philo à laquelle nous invite l'auteur. Il m'a laissé parfois sur ma faim, tellement chaque cours est court, et il y a quelques redondances. De nombreuses réflexions sont néanmoins intéressantes quand l'auteur dévoile sa propre pensée :
"...Marcher, cela fait imprégnation. Marcher interminablement, faire passer par les pores de sa peau la hauteur des montagnes quand on s'y affronte très longtemps, respirer des heures durant la forme des collines en les dévalant longuement. Le corps devient pétri de la terre qu'il foule. Et progressivement, ainsi, il n'est plus dans le paysage : il est le paysage. Ce n'est pas forcément dissolution, comme si le marcheur s'évanouissait et en devenait une simple inflexion, une ligne supplémentaire. Parce qu'en lui soudain ce rapport s'illumine. C'est comme un instant qui éclate. Feu brusque : le temps s'enflamme. Là, le sentiment d'éternité, c'est tout à coup cette vibration des présences. L'éternité, ici, comme étincelle."
Je ne m'attendais pas à ce que la marche Ultra-légère soit évoquée dans cet ouvrage, et ce n'est pas pour cela que je l'avais acheté. Pourtant, page 251, vers la fin donc, je lis ce titre de chapitre : Élémentaire. Et là, quelques belles phrases sur le concept même de légèreté :
"Alors l'interrogation, la même : est-ce bien nécessaire ? Car il faut au maximum réduire (...) Juste de quoi marcher, de quoi vivre. De quoi a-t-on besoin quand on marche ? De quoi se protéger du froid et de la faim. Rien de ce qu'on emmène ordinairement pour tuer le temps ne sert ici.
Marcher, c'est vivre d'une existence décapée, délestée, débarrassée des adresses sociales, purgée du futile et des masques."
"Le nécessaire, c'est un niveau au dessous de l'utile (...) L'inutile, le superflu, c'est tout ce qui demeure concédé à l'appréciation des autres ou à sa propre vanité."
"Un dernier niveau, c'est celui de l'élémentaire. C'est presque un renversement. Je me souviens ainsi, au pied d'une montagne, dans les Cévennes. Il restait pour le sommet six à sept heures de marche (...) Et là, la décision : le sac planté dans un creux d'arbre. Plus rien sur les épaules, ni dans les poches. Deux jours ainsi, sans rien. Cette impression d'abord de légèreté immense, délesté même du nécessaire (...) Il n'y avait plus rien désormais entre moi et le ciel, moi et la terre (l'eau fraîche prise au ruisseau, au creux des mains jointes ; framboises et myrtilles ; douceur de la terre pour dormir)."
"L'élémentaire se révèle comme plénitude de la présence. (...) C'est la couche première, archaïque, dont on ne peut que très peu éprouver la consistance, car elle ne se donne dans sa pureté qu'a celui qui s'est, à un moment, débarrassé du nécessaire. (...) L'élémentaire, c'est ce à quoi on s'abandonne, et qui nous est donné absolument."
Ailleurs, il évoque Diogène qui, déjà démuni, jette au loin au loin son gobelet de bois le jour où il voit un enfant boire à une fontaine en recueillant l'eau dans les paumes de sa main.
On peut philosopher en marchant, marcher en philosophant, mais comme on le remarque souvent au bout d'un moment, les pensées s'échappent et ne reste que l'essentiel : marcher et être en contact direct avec ce qui nous entoure.
Nous sommes alors purifiés.
Au moins pour un jour.