dimanche 24 août 2014

L'Islande à pied - Récit et Photos (1)

6 au 22 août 2014 : Trek Islandais du nord au centre

Le récit et les images - page 1

5 août - Vol Aller
Nice et sa chaleur estivale sont déjà loin. L'avion atterrit à Vienne au son d'une valse de la même ville. Et s'il s'écrasait, le commandant aurait-il la noblesse d’esprit de laisser jouer l'enregistrement pour que les derniers moments des passagers se passent dans un romantisme absolu ?
Dans les boutiques de l'aéroport de Vienne les femmes de Klimt s’affichent sur toutes les besaces en similicuir, le portrait de Mozart fait de même sur les boîtes de chocolat. Pour la première fois je comprends ce qu’a voulu dire Andy Warhol qui transformait, par la multiplication, les sujets en objets de consommation.
Assis dans cette salle d'attente cosmopolite et géante, je passe mon temps à observer les gens tout en me demandant l'heure qu'il est. Mon téléphone portable est éteint, je n'ai pas de pendule dans mon champ de vision et pourtant une boutique de l'autre côté de l'allée exhibe des centaines de montres de toutes marques. Comme une prise de distance d’avec le monde. Déjà.
J'ai chaud aux pieds, à cause des chaussettes en laine Mérinos et des chaussures Goretex. Je supporte, mais la meilleure chose à faire est de retirer les chaussures à chaque fois que c'est possible, comme je l’ai fait dans l'avion par exemple.
Je décide d'aller manger un casse-croûte et une goûter une bière autrichienne. La canette d'Ottakninger se dresse sur la table devant moi et, au fur et à mesure que je la bois, elle se transforme en P3RS dans mon imagination. Je suis mûr, c'est sûr! Il faut dire que le haut de la canette est magnifiquement galbé et étroit. De quoi rêver cette transformation.
Ces derniers temps, surtout les jours précédents le départ, j'ai connu des sentiments mitigés à propos de ce Trek : angoisse de ne pas être à la hauteur, vraisemblance d'une découverte de problèmes inattendus, de difficultés insurmontables, peur de la déception et du découragement, peur de ne pas tenir mon engagement à cause d'une mauvaise évaluation de mes limites, ou parce que je me serais caché celles-ci avant d'accéder au sujet convoité. Et puis à l'inverse, m'ont envahi des sentiments d'euphorie à l'idée de découvrir l'inconnu, de rencontrer de nouvelles personnes et de nouvelles lumières qui donneraient du sens à mon destin. Tout cela ressemble fort aux prémices d'une rencontre amoureuse, en fait.
L'avion parti de Vienne vole vers le nord-ouest, il semble rattraper la course du soleil. A l'horizon des nappes rose-orangé s'étirent entre une couche basse grise et opaque, et plus haut un ciel terne mais bleu encore.
Je n'ai rien à lire alors j'écris pour me relire plus tard. Le merveilleux se vit, s'écrit, se lit enfin, bien avant les termes des chemins.
L'appareil survole une épaisse couverture de nuages qui s'étend à l'infini. Soudain une percée dans ce magma permet d'apercevoir la surface du sud de l'Islande et je vois effectivement ce qui ressemble à une autre planète que la Terre, un territoire rocheux et chaotique, hachuré de raies sombres qui entaillent toute sa surface.
La capitale Reykjavík et la petite ville de Keflavik que je surplombe en ce début de nuit paraissent être des stations extraterrestres, avec leurs lumières tranchantes dans la noirceur du paysage lunaire. Cette vision m'évoque les romans d’anticipation, qui sont parmi mes lectures favorites.

6 août
Alors que j'avais prévu de vérifier si je pouvais trouver des bonbonnes de gaz à l'aéroport de Keflavik, j'oublie cette opération. Malin, je suis déjà dans le bus.
Il est minuit, la seule station service ouverte que je visite à Reykjavík, où je suis arrivé par la navette, vend des bouteilles Optimus, incompatibles avec mon réchaud MSR.
Comme d'autres randonneurs, particulièrement les moins riches, je passe la nuit dans la salle d'attente de la compagnie des bus BSI. J'ai décidé, après une petite pérégrination inutile dans les faubourgs de la capitale, d’effectuer une traversée de l'île ouest – nord-est en autocar touristique, histoire de voir du pays – malgré le prix, proche de 100 €.
Vers 4 heures du mat', un employé de BSI demande à ceux qui sont allongés sur les banquettes en fer, c'est-à-dire nous tous, une bonne douzaine de personnes, de se lever. J'ai à peine dormi. L'heure du squat est terminée, celle des excursionnistes en transit commence. En effet, de plus en plus de gens arrivent, descendant d’un bus pour remonter dans un autre, après avoir bondé son coffre de sacs à dos.
Pour ma part, j’attends l’autocar qui va prendre la piste de Kjöllur, traversant les territoires incultes du centre jusqu’à Akureyri. Un arrêt dans la petite ville de Selfoss me permet d’acheter une bouteille de gaz dans une station essence. Ils n'ont que des 500 ml. Et bien ! Dans la liste des inquiétudes futures, j'enlève celle qui concerne la pénurie de gaz.
Le visage du temps, avec ce ciel voilé, présente un mélange de douceur et d'humidité qui ressemble à certains novembres Normands tels que je les ai connus, mais avec plus de pâleur. Je veux dire qu’il manque ici les couleurs chatoyantes des arbres. En tout cas, j'apprécie de respirer pleinement un air léger, après la chaleur Varoise. Pour cette journée, j'ai enfilé mon T-shirt d’été sous la veste Rab Drillium.
Par la fenêtre j’aperçois parfois d’épaisses fumées enveloppant les petites stations géo-thermiques isolées, reliées par de longs tuyaux géants et qui fournissent l’énergie de la terre au pays.
Arrêt au Geyser de Geysir (en fait c'est ce Geyser qui a donné son nom à tous les autres), puis aux chutes de Gullfoss. C'est magnifique, même si lors de ce passage l'arc-en-ciel qui fait la réputation de ces chutes n'apparaît pas. Au dessus des chutes, le vent entraîne un nuage d’embruns qui trempe celui qui s’approche trop près des falaises. Un aperçu de ce qui m’attend ?
Par une piste, le bus traverse ensuite un long, très long désert. C'est la première fois que je connais cette expérience et pour l'instant je m'imagine mal marcher sur une aussi longue distance, sans rien devant ni derrière, ni à gauche ni à droite. Le décor est lunaire, à la fois monotone et subtilement varié si nous l'observons dans ses détails anodins : le relief, la forme des pierres, les perspectives de ce vaste espace que limite un horizon dont la distance souvent très lointaine mais toujours imprécise procure quelques détournements mentaux, parfois sous forme d'illusions optiques.
Après le désert du centre, à travers les plaines qui précèdent des collines entourant Akureyri, retour à un paysage sans arbre toujours, mais aux tons ocre, sable et vert-de-gris. Dans cette région, les moutons sont disséminés par groupes jamais très nombreux, dans les ressauts ou les affaissements de terrain, plaqués à un rocher, immobiles dans l'herbe, fleurs blanches posées sur ces herbages chétifs. Puis, dans les vallées proches de la côte nord, la couleur dominante est le vert tendre. C'est presque rassurant de voir toutes ces fermes, ces chevaux, ces moutons, ces balles de paille qu'on emmaillote de blanc. Au bord de la route, j'aperçois quelques plantations d'arbre. Il semble que les Islandais reboisent leur île – autrefois soumise à une déforestation intensive, quand le sol s'y prête.
Comme Tintin et le capitaine Haddock dans L’étoile mystérieuse, je fais escale à Akureyri, terminus de ce premier voyage en autocar. Moins de 18 000 habitants et quand même la quatrième ville d’Islande. Soirée en ville et nuit au camping.





7 août - 1
Ce matin, autocar entre Akureyri et Asbyrgi le matin. Arrêt dans le port d’Húsavík, ou des marins pêcheurs se sont reconvertis en guides touristiques et emmènent les touristes pour le Whale Watching à bord d’anciens bateaux de pêche.
Départ à pied d'Asbyrgi vers 13 h. J'achète des vivres que je mange en partie à l'épicerie qui se trouve au bord de la route. Je me gave carrément de pain, fromage, salami et banane, pour remplir mon estomac comme s’il était un garde-manger et ainsi sauvegarder ce que contient le sac à dos.
Plusieurs chemins bien tracés partent d’Asbyrgi, je prends celui qui m’entraîne vers un site spectaculaire, composé de hautes falaises surplombant un immense canyon en forme de fer à cheval et très boisé. Je ne suis pas seul, plusieurs marcheurs empruntent la même route. Au sommet de la falaise surplombant la plaine, je fais un arrêt-photo-portrait-de-moi, grâce à un groupe de marcheurs italiens venus admirer le point de vue. Je remarque un duo à l’allure étrange, indubitablement un père et son fils adolescent, avançant lourdement à cause de leurs gabarits disons… forts. L’homme refuse ma proposition de les prendre en photo tous les deux et je les vois s’éloigner comme ils sont venus, silencieux et éloignés l’un de l’autre de plusieurs mètres, le jeune traînant les pieds comme s’il traversait une rivière. Bon. Pour une fois que je veux lier un contact…
Je remonte le fleuve Jökulsá à Fjöllum, dont la traduction "rivière glaciaire des montagnes" nous dit d'où elle vient. Le temps est très couvert mais seules quelques pluies légères mouillent ma randonnée. Dans un joli environnement de landes, je suis un sentier étroit mais bien tracé et prend mon temps pour me gaver de myrtilles. Des milliers de bolets ont poussé, c'est le paradis des champignons mais je n'ose en toucher aucun. Ah! Si des copains connaisseurs étaient là, on se régalerait sans doute !
A l'étape du soir, le taillis étant trop touffu, je place ma tente au bord du chemin.












8 août - 2
Pluie continuelle, vent de plus en plus froid, je progresse toujours en remontant la profonde vallée rocheuse, spectaculaire illustration du grand rift Islandais. Je connais le pire des temps aux alentours des chutes de Dettifoss, que je vois à peine, et sans m'arrêter si ce n'est pour quelques photographies à la volée.
Dans la cabine des toilettes du Parking des visiteurs, je remplis vite ma réserve d'eau et essaie en vain de me sécher. Je vois les bus et les camping-cars repartir dans les embruns mais je ne suis même pas tenté de leur demander de me prendre en stop. Mon périple n'est pas le leur, nos mondes sont parallèles et ne se rencontrent pas.
Quittant le morceau de route que j'ai longé sur deux kilomètres vers l'ouest, je me lance dans la traversée d'une immense plaine de landes, à travers les nuages d'un ciel très bas. Je m'arrête vers 15 heures pour planter la tente quelque part dans la plaine, quelques kilomètres avant le lac Eilisvötn. Je suis trempé, je grelotte et me rends compte de quelques ennuis techniques. En effet, je n'ai pas protégé le téléphone mobile dans ma poche de ceinture. Je pense alors qu'il est grillé car l'écran ne s'allume plus. Oups pour appeler et donner des nouvelles. Ce n'est pas tout. La nuit dernière, j'ai dormi comme toujours sur un oreiller composé de ma doudoune et du pantalon, le tout dans un petit sac de rangement. Seulement l'appareil photo était resté dans une poche du pantalon et j'ai dû appuyer sur un bouton quelconque. Voilà donc la première batterie de l'appareil photo déchargée. Il m'en reste une qui devra tenir quinze jours. Economie donc. Trois épreuves à surmonter par manque d'expérience plutôt que par malchance, çà me paraît beaucoup pour un début de Trek. Et cette pluie froide qui n'arrête pas de s'abattre. Il faudrait qu'elle cesse d'ici demain, ce serait plus sympathique pour mon moral. J’en tire un avantage – car il faut toujours penser aux avantages que peuvent procurer indirectement les éléments négatifs que nous rencontrons, je remplis ma gamelle d’eau en la plaçant sur le sol, dans l’alignement de la toile de tente. Le ciel d’Islande prodigue de bonnes quantités d’eau mais celle-ci ne sort pas du sol tous les 500 mètres, loin s’en faut. 








9 août - 3
Première remarque du jour : le téléphone a séché et fonctionne. Ouf ! Deuxième remarque : le ciel est clair et a fermé ses robinets.
Le vent n’est pas violent mais vient toujours du nord. Je me déplace dans le Wild, l’espace sauvage, c’est grisant. Je me dirige vers la rive nord du lac Eilifsvötn en prenant comme repère la montagne pointue du Eilifur, ce qui ne m’empêche pas de faire une erreur de cap et d’accéder à cette étendue d’eau légèrement trop à l’est. Je corrige en la longeant jusqu’à son extrémité sud-ouest où je trouve une source se jetant dans le lac. Comme à chaque fois que j’aperçois des moutons dans les environs, je traite cette eau au micropur. J’en profite pour retirer mes chaussures et essorer mes chaussettes-éponges car depuis le matin les plantes basses me font bien profiter du liquide qu’elles ont retenu par le biais des chaussures. La corvée consiste à réaliser cette opération d’essorage au moins deux fois, car les chaussettes essorées se gorgent du liquide contenues dans les chaussures, une fois celles-ci réenfilées. Avoir les pieds en permanence mouillés est une cause d’inquiétude pour le marcheur, car cela peut avoir des conséquences néfastes pour la santé de nos petons.
Je traverse ensuite une petite chaîne volcanique au nord-ouest du lac pour rejoindre les plateaux au nord du lac Mývatn. De là j’ai une vue splendide vers le nord-ouest, jusqu’au massif enneigé du Burfell.
Je rejoins une piste qui mène au volcan Krafla et sa centrale géothermique. Je ne monte pas sur la crête de la Caldeira, culminant à 818 mètres, dont le lac de cratère est pourtant beau, à cause de la longueur de l’étape de ce jour et de la pluie qui revient balayer les flancs du cratère. De l’autre côté de la route 863, un circuit aménagé pour les piétons part d’un parking (lui aussi équipé d’un préfabriqué-salle-de-bains-WC) et permet d’aller admirer un très beau site volcanique couvert de fumerolles. Après avoir fait un nouveau plein d’eau potable, c’est par là que je passe, accompagnant ou croisant de nombreux touristes, pour rejoindre le chemin qui va vers le sud et le lac Mývatn. Ce n’est pas ici que je peux lier conversation, mais je tâche d’être poli en saluant tous les gens que je croise, histoire de ne pas faire le farouche.
Je m’arrête après quelques kilomètres, pour bivouaquer au pied d’une petite colline au milieu des champs de lave et qui m’abrite du vent.














10 août – 4
La pluie se lève avant moi, c'est-à-dire à 7 h, juste avant que mon réveil sonne. Courage ! Des pensées négatives me traversent, qui concernent tous ces vêtements dits de pluie et qui se transforment en éponge trop rapidement. Je ne sais plus où est la solution à ce problème. Il est capital que je maintienne au sec ma seconde paire de chaussettes, pour la nuit, ainsi que le sac de couchage.
Je me situe à environ 2 heures de Reykjahlíð (prononcer le ð comme le th anglais doux, pour faire simple). C’est dimanche et j’espère que les Shops seront open. Il fait froid et surtout très humide. Je navigue dans un nuage, qui commence à prendre plus de place et d’importance que celui qui flotte dans mon crâne.
Voulant réaliser une photographie des champs de lave que je traverse, je constate avec épouvante que la deuxième et dernière batterie de l’APN est vide. Mais c’est quoi çà ? Rapidement j’accepte le destin que je ne peux modifier et présume déjà que trouverai un chargeur au village de Reykjahlíð. Celui-ci m’apparaît vers midi, après 13 kilomètres parcourus dans la brume et sous une petite bruine fraîche. M’approchant de la route longeant le lac, je distingue au loin deux silhouettes que je reconnais immédiatement à cause de leur démarche pesante et de la distance calculée qui les sépare encore. C’est le duo père-fils que j’avais rencontré peu après Asbyrgi, qui avance gauchement. L’ambiance occasionnée par leur attitude et le paysage m’évoquent soudain les récits de la romancière Auður Ava Ólafsdóttir. Je prétendrai même à me faire accepter comme un de ses personnages.
Je m’installe donc dans un après-midi de repos-recherche de chargeur.
J’achète des vivres au Supermarket, seul commerce, mais ouvert tous les jours de 9 h à 22 h et rempli à la fois de tout ce qu’il faut pour s’approvisionner et de voyageurs de passage dont un grand nombre parlent la langue de Molière. C’est drôle comme un si petit magasin peut procurer une sensation d’abondance lorsqu’on vient de traverser des territoires stériles et inhabités. Je visite ensuite le centre d’information, juste en face. Là, Le Ranger de service me donne quelques informations très utiles pour la suite du parcours, que j’envisage passer par les plateaux au sud et répondant au doux nom de Bláfjallsfjallgarður.
Après recherche dans les seuls endroits susceptibles de posséder un chargeur (hôtels, magasin de location de VTT), je trouve mon bonheur à l’accueil d’un camping, au bord du lac et juste en face du commerce. Le chargeur opportun appartient à un marcheur italien qui accepte d’interrompre la charge de son téléphone afin de me prêter le chargeur. J’ai deux batteries à remplir, la décision est donc prise : je donne 10 euros à la réception du camp pour passer la nuit, douche comprise, et profiter de la grande tente-cuisine.
Ce soir, j’ouvre une canette de bière avant le retour au régime marcheur, et fais un premier bilan, que seule la position assise permet. Car au cœur de ce geste que constitue la marche, les préoccupations sont limitées aux actes pratiques et vitaux : regarder où se posent les pieds, manger, boire, s’abriter, qui refoulent les enthousiasmes et les spéculations philosophiques dans les parkings de la pensée. Je fais le vide en marchant. Le fait de ne pas penser devient agréable, c’est la finalité des yogas et autres exercices spirituels – Spirituel : le mot exécré par certains qui le pratiquent pourtant à leur insu, car il leur suffit de marcher et marcher encore, jusqu’à atteindre cet état de bien-être que nous avons tous en commun. L’esprit dégagé, j’arrive à filtrer les pensées qui ont le droit d’entrer, comme le souvenir de personnes choisies : mon père, qui doit être fier de là-haut, mes enfants qui sont fiers de là-bas, ma petite fille qui s’en balance comme de sa première couche jetable, et d’autres que je convoque, un par un, une par une.
Repas du soir à l’abri dans la kitchen-tent en toile, où les places assises sont chères. Mes voisins de table sont des marseillais avec qui j’échange quelques mots. J’entends partout parler français dans ce pays, ce qui signifie bien qu’on doit l’aimer cette île, nous autres.
En entrant dans le local des douches, j’entends encore ma langue maternelle, par ce cri : « ca pue ! ». Effectivement le verbe est juste. Pour être plus précis tout ce qui coule en cet endroit exhale d’affreux relents de soufre.
Tout au bord du lac qui, par bonheur, ne mérite pas son nom en ce moment (c’est le lac des moucherons), je me détends ensuite à l’entrée de ma tente, dont j’apprécie le volume. Je me dis que j’ai bien fait de m’arrêter tout l’après-midi à Reykjahlíð. En plus de pouvoir faire recharger mes batteries d’APN, j’ai pu faire le point sur la suite du parcours, qui est plus clair maintenant grâce au garde du bureau d’information. En effet, mon tracé est relativement grossier et je compte l’affiner au fur et à mesure de ma progression.



11 août – 5
Après un petit déjeuner au camping, je cède à la tentation d’un café dans un hôtel du bord de la route. Dans tous les lieux (sauf les restaurants) servant ce qu’on peut appeler un café américain, une grande bouteille Thermos est emplie à l’avance de la noire potion et posée sur un comptoir. Le client se servant lui-même au robinet de cette bouteille après avoir payé environ l’équivalent de 2 euros le mug, j’en ai fréquemment gentiment abusé en me servant deux fois.
Au début de cette belle étape qui me voit m’éloigner du lac de Mývatn, j’ai une nouvelle occasion d’exécuter une razzia sur les champs de myrtilles. En profiter avant d’entamer la traversée des étendues arides me paraît une obligation absolue.
Je grimpe sur le volcan Hverfjall, un cône tout noir de 250 mètres de hauteur, en fait le tour complet avant de le quitter à travers ses cendres noires, par une pente raide. La vue sur le lac est très belle de cet endroit, et je suis bien heureux de profiter à nouveau de mon appareil photo.
Par une large piste, direction sud-est, je m’enfonce dans un paysage constitué par des champs de lave et des petits cratères vers une chaîne de montagnes basses, dénudées et soumises à tous les vents. L’altitude augmente progressivement, la température de l’air et le plafond de nuages, eux, descendent. A cause des nuages, je ne distinguerai d’ailleurs jamais le sommet le plus haut de la région, le Bláfjall (1222 m).
En milieu d’après-midi, j’atteins une immense plaine verte, animée par quelques moutons et des vols de canards coincoinants, formant des V se déplaçant lentement dans le ciel.
Il fait de plus en plus froid à l’approche de la cabane de Barð, jolie construction vert pâle. Jolie mais verrouillée par un boîtier à code. Privée, donc. Je choisis le côté le plus abrité du vent pour planter ma tente et vais me toiletter dans la petite rivière voisine. Toilette rapide. Je caille, je retrouve les conditions printanières du Mercantour vers 2500 mètres, la neige en moins.
Je me rends compte que les abris ou refuges sont toujours construits à proximité d’une source d’eau fraîche. Ici ce sont plusieurs petites rivières qui descendent du Bláfjall.
Devant moi, une immense plaine et un horizon lointain, le long duquel je distingue le volcan Krafla et quelques autres sommets, dont Herðubreið, du moins c’est ce que je suppose.
Je suis grisé par le calme qui m’entoure, les sons légers de la bruine, du vent et du ruisseau tout proche me tiennent compagnie. Je me tiens au milieu d’un orchestre subtil et délicat. Vient l’heure du repas. Puisque j’évite l’écoute de la musique afin d’économiser la batterie de mon téléphone et que je n’ai pas emporté de lecture, manger, comme écrire ou méditer, devient la source d’une jouissance qui s’accorde bien avec l’esprit de simplicité qui s’est installé en moi pendant ce voyage. Pour participer à cette atmosphère mystique, le relief ne renvoie aucun écho. Je peux crier, chanter, les sons partent vers l’horizon ou le ciel et ne se retournent pas afin de ne pas interrompre le silence. C’est indiscutablement pour cela que les déserts sont parmi les lieux les plus propices à la méditation, la prière ; un lieu de relation par nature. Pourtant, je dois demeurer sage. Ma quête d’absolu n’est que temporaire, je la goûte en ces lieux reculés et silencieux aussi parce que je sais que je vais en sortir.









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