lundi 22 mai 2017

Clécy - La Pommeraye

C'est le mois de mai, propice à une nouvelle virée normande, dans le bocage où se faufile le fleuve Orne.


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Le parcours : 

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Venant de Clécy, je franchis l'Orne au Vey et monte les coteaux de la rive est, gardés par l'église Saint-Laurent.



La montée au Pain de Sucre (171 m) est une formalité, mais la vue est belle vers Clécy.

Le village de Saint-Omer est caché par les haies.

J'avance à travers ce plateau agricole, qui surplombe la vallée à une altitude de 200 à 300 mètres. L'air y est frais, les blés poussent tranquillement. Je suis content de constater qu'on replante des arbres le long des chemins.

La dénomination de Suisse normande peut prêter à rire. L'invention d'un hurluberlu au début du 19ème siècle, époque où l'arrivée du chemin de fer participa à la naissance du tourisme. En vrai, nous sommes dans le Bocage, un vert pays de collines. Géologiquement parlant, la région constitue l'extrémité nord-ouest du Massif Armoricain. Républicainement parlant, elle chevauche les départements du Calvados et de l'Orne.

Un magnifique exemple de maison ancienne du bocage normand. Avant la guerre 14-18 le chaume était encore très présent sur les toits. Les nombreuses nuances que possède le grès ajoutent de la variété aux constructions.
Le secteur a été assez épargné par les destructions de la Bataille de Normandie en 1944, qui faisait rage plus à l'ouest dans le bocage Virois, ou plus à l'est dans la plaine de Falaise. Ainsi l'habitat traditionnel est encore présent.

Le lavoir du village Le corps du sel. Je ne connais pas l'origine de ce nom qui évoque les écrits alchimistes, ce qui ajoute un peu plus de vertu initiatique à cette randonnée.


Je descends un des nombreux vallons verdoyants du coin dans un silence merveilleux, seulement diverti par les chants d'oiseaux et le son des ruisseaux.


Un panneau indicateur avec un point d'interrogation. C'est au marcheur de trouver sa voie. Ainsi l'acte de marcher reprend son rôle d'inspirateur de quête, et c'est bien.

Autour de l'église du village de La Pommeraye, halte pour admirer la danse frénétique des bourdons et autres abeilles butinant les fleurs de Rhododendron.


Des angelots sont cachés dans les murs à l'arrière de l'église. Ils ont dû en voir des choses, là où ils sont placés !


Quittant le village, c'est depuis le sentier longeant la vallée que je découvre le plus beau point de vue vers le château de La Pommeraye. Il est de style Restauration parce que l'édifice du 17ème siècle a été profondément remanié, et sert aujourd'hui de maison d'hôtes où le rêve d'une vie de châtelain peut être assouvi.

Le sentier sent bon l'humus. La putréfaction finissante des arbres séculaires a créé de véritables sculptures. Une vie microscopique grouille dans toutes les crevasses.


Sachant que je dois trouver les vestiges d'une forteresse médiévale au faîte de la colline, je coupe à travers bois et me trouve soudain arrêté par une sentinelle de bois. Ses yeux vides ne me disent rien et n'écoutant que mon sens de l'orientation et la direction des panneaux, je continue à gauche. Allez boujou.

J'arrive en limite de l'enceinte médiévale, constituée d'une motte de terre et de pierre. Un deuxième veilleur, camarade du premier, se repose d'un côté sur sa hache, de l'autre sur son bouclier. Je suis seul, je ne crains pas le ridicule en lui parlant. On ne sait jamais. Mais nulle réponse. Je lui jette une poignée d'herbes folles en invoquant les elfes du lieu – parce qu'il y a forcément des elfes du lieu, sinon cette randonnée n'a aucun sens. Il reste coi. Bon – Je me suis mal documenté. Une formule ou une plante, ou les deux, doivent me manquer. Tant pire.

Je découvre enfin ce site du 11ème et 12ème siècle dont j'entends parler depuis trente ans. Sa vente au département du Calvados et sa restauration récente le rendent accessible, pour le plus grand bonheur des amateurs de vieilles pierres et d'histoire tels que moi.

Dans le calme et la solitude, je flâne dans la basse-cour et m'imagine chevalier. Si le fantôme du seigneur de la Pommeraye est revenu, j'ai du le croiser ou le traverser plusieurs fois.

La chapelle est ouverte au vent et au ciel. Je m'assois sur ce qu'il reste des murs du bas-côté et médite.


J'approche tranquillement de la tour-porche qui constituait le donjon. Je prends mon temps puisqu'il y a trente ans que j'attends ces instants et que ces instants m'attendent depuis neuf cents ans (j'arrondis !). Le temps s'étire.


Le moment est venu de quitter les lieux et descendre la colline. Je retrouve les bois et leur vie ascendante et rampante.



Cette Silène est appelée aussi le compagnon rouge. Et si elle avait été la plante qui m'eut permis de réanimer le veilleur de bois dormant ? Je laisse celui-ci tranquille en ne tentant pas l'expérience.


Pris d'un accès de joie incompréhensible, un Troll a pris son élan et, des deux pieds, a sauté vers le bas de la pente. Je ne vois pas d'autre explication.

Une prairie me donne ses fleurs mais me vaudra quelques tiques du coup (qui est un tic verbal, ce qui n'a rien à voir, du coup).

Je fais halte sur la rive du fleuve pour le pique-nique de la mi-journée. Son cours est lent, ses eaux sombres ne voient leur surface frisonner que par quelques ébaudissements de petits poissons .

Si cela était possible, je ferais bien le retour vers Caen en empruntant ce tronçon du Tour de la Suisse Normande. Le bourg de Thury-Harcourt est à mi-chemin.

Près du hameau du Fouc, je traverse le gué d'un ruisseau près d'un petit lavoir perdu.

Sur le plateau, longeant les prairies bordées de barbelés rébarbatifs, je continue sous un ciel de plus en plus bleu.

Et redescendu sur le bord de l'Orne, je passe devant d'anciennes carrières de schiste, si utile autrefois aux constructions.

Le Nombril de Vénus, ou Ombilic des rochers, est en pleine floraison. Les feuilles sont comestibles, sachez-le.

Longeant le fleuve, je découvre d'autres vestiges du passé : les barrages, les biefs, les moulins à papier et à grains.




Au Bô, que je traverse par une petite route départementale déserte, la mairie fait des économies de panneaux, et je la remercie car cela donne un côté vintage au village.

Comme dans tous les cimetières normands, l'If, arbre chargé de symboles et de mythes, veille sur les enterrés et les aide à relier le monde d'"en-haut" selon plusieurs mythologies – dont la nordique qui lui attribue plusieurs pouvoirs et l'associe à la puissante rune Eihwaz. Cet arbre-ci me paraît jeune car beaucoup plus mince que d'autres que j'ai vu, âgés de près de mille ans.

Ensuite, je ne m'écarte pas du chemin tracé, et pour cause.

Me voici arrivé au milieu du plus beau paysage de cette sortie. A une centaine de mètres au-dessus de l'Orne, une barre de rochers domine le fleuve. Les falaises des rochers des Parcs, protégé, sont un site majeur pour l'observation du Cambrien, période géologique datant de plus de 450 millions d'années. C'est aussi, évidemment, un lieu d'escalade réputé.



Le village des Parcs, qui a donné son nom au site. Le paysage est profondément harmonieux.

La boucle est presque bouclée et au Vey, je m'arrête à la ferme pour des emplettes inévitables : cidre et calvados.

Les derniers mètres sont pour rejoindre le café de Clécy, face à la tour-clocher du 15ème siècle, partie la plus intéressante de l'église.

Encore une boucle normande bouclée. Comme toujours je me suis intéressé à lire entre les lignes du regard, à sentir l'essence des lieux, à contempler les traces du temps, plutôt qu'à seulement vouloir satisfaire mon plaisir immédiat. Mais les deux se rejoignent au bout du compte...

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